René
28/06/2022
Demain, la pêche en mer (V)
Flou autour de “notre” économie et de nos structures représentatives Après le chapitre brûlant (!) des prélèvements qui nous sont attribués, le rapport sur la pêche de loisir en mer aborde les différents secteurs que notre activité contribue à faire vivre. La plaisance serait pratiquée par 13 millions d’individus opérant à bord de plus d’un million d’unités, très majoritairement utilisées pour pêcher occasionnellement ou plus régulièrement, dont les trois quarts sont des bateaux à moteur, parmi lesquels les 3/4 encore sont d’une taille inférieure à 6m. Les immatriculations de navires augmenteraient aujourd’hui de 12.000 unités par an. Pas d’évocation dans le rapport du chiffre d’affaires réalisé grâce à leurs ventes… Pourtant, les 5,08 milliards d’euros que cela représente auraient mérité d’être portés au grand jour ! Les grands salons (Paris, La Rochelle, Cannes) témoignent de cette vitalité, tout comme certaines compétitions. Dans ce domaine, le “Barracuda Tour” est cité…. Rappelons qu’il s’agit d’une compétition de pêche en… no kill ! Mise en exergue ici, cette pratique est quasi passée sous silence dans l’ensemble du rapport, alors qu’elle devient la règle pour des pêcheurs toujours plus nombreux, ce qui change radicalement la donne par rapport aux estimations des prélèvements évoqués dans les précédents volets de ce “feuilleton”. Alors quand Pierre Médevielle conseille de “mieux partager la ressources entre pêcheurs professionnels et pêcheurs de loisir” pour une meilleure entente entre ces catégories d’usager de la mer et qu’on sait ce qu’il en est vraiment, comme je l’ai expliqué dans l’épisode précédent, on frise la galéjade ! Manque de rigueur et de transparence On se trouve donc face à un réel déficit d’objectivité. On se doute aussi de l’énorme poids économique que cela représente ! Évoqué aussi, dans ce chapitre “Économie”, le Groupement des Industries Françaises des Articles de Pêche (GIFAP) et ses 750 millions d’euros de chiffre d’affaires, dans lequel la pêche en mer représenterait 24%. Ce travail d’investigation semble éluder toutefois un phénomène nouveau, évoqué par un certain nombre de spécialistes qui pointent du doigt la désaffection revendiquée des jeunes générations pour la plaisance, en raison d’une adhésion grandissante aux concepts de respect des milieux naturels, de frugalité énergétique et de décroissance, qui sont abondamment martelés par certains théoriciens et repris par les politiciens de l’écologie. La crise énergétique que nous traversons devrait d’ailleurs accentuer le phénomène. Il a été d’ailleurs prédit qu’à l’horizon 2050 les quelque 475 ports français pourraient se trouver confrontés à de graves problèmes d’équilibre financier. Au-delà de cette parenthèse, le rapport indique que la dépense moyenne annuelle par pêcheur en mer se situerait autour de 200 euros/an ce qui, si je me réfère à mon cas personnel et à celui de bon nombre d’entre nous, semble très sous-évalué. Il faut ajouter à cela les frais d’entretien des bateaux, estimés à 1.000 à 1.500 euros. Mais où est donc la part consacrée à la location des anneaux, étrangement passée sous silence, alors que cela devient le poste de dépense le plus important, vital de surcroît pour les ports français bien sûr ? Finalement, le rapport semble éluder délibérément quantités d’éléments contribuant à quantifier le poids global du secteur. Je me suis donc employé à faire une simple addition entre les chiffres réellement publiés, ceux passés sous silence et l’évaluation de l’apport correspondant à la location des anneaux… On atteint ainsi : – anneaux pour 1 million d’embarcations à 1.500 euros/an (évaluation moyenne basse) = 1,5 milliard d’euros – navires : 5,08 milliards – GIFAP (matériel de pêche) : 175 millions – Dépense des 1.750.000 pêcheurs (sur la base de 200€/ an pour tous ceux qui ne pêchent pas à pied) et alors que leurs achats se font de plus en plus fréquemment hors des circuits traditionnels : 350 millions. TOTAL : 7,105 milliards !!! On aurait aimé que cela soit présenté de manière précise et transparente ! Pourquoi ne pas l’avoir fait ? C’est pourtant cela qui nous intéresse au premier chef et qui devrait interpeller les parlementaires qui seront sans doute appelés à se prononcer sur la future organisation de la pêche de loisir en mer. Tout simplement car le chiffre d’affaires de la pêche professionnelle, soit 1,2 milliards d’euros (source ministère de l’Agriculture et de la Mer), pourrait paraître bien terne en comparaison. Je ne vois pas d’autre explication à cette discrétion ou lacune… Reconnaissons cependant que le Rapport Médevieille évoque les secteurs valorisant le poisson capturé par les pros : mareyage (1 milliard), restauration spécialisée dans les produits de la mer (2 milliards), importants dans l’économie nationale. Il évoque aussi au passage (bien sûr !) le fait que quelques plaisanciers déraperaient et proposeraient le produit de leur pêche à certains restaurateurs… Les associations… “Nos” associations ? Après la présentation de tous les organismes et structures liés aux espaces marins : CIEM, IFREMER, FranceAgrimer, déjà évoqués dans les épisodes précédents, le Rapport en arrive enfin à l’évocation des structures censées nous représenter. Soulignons comme lui que les pêcheurs à pied ne disposent d’aucune structure représentative. Pour les autres catégories de pêcheurs, le rapport énonce ceci : “Parmi les fédérations nationales existantes, deux sont agréées par le ministère des sports : la Fédération française des études et sports sous-marins (FFESSM – 148.000 licenciés) et la Fédération française des pêches sportives (FFPS – 11.000 licenciés). Une autre fédération n’est plus agréée : la Fédération française des pêcheurs en mer (FFPM – 5.000 adhérents). Une autre fédération n’a pas demandé sa reconnaissance comme fédération sportive et regroupe plutôt des plaisanciers : la Fédération Nationale de la Plaisance et des Pêches en Mer (300 associations – 32.000 adhérents).” Il évoque aussi une nébuleuse d’associations locales et les fédérations de plongeurs. Un oubli – à moins qu’il ne la classe dans cette dernière catégorie – : l’U.N.A.N., (Union Nationale des Associations de Navigateurs), qui compterait à ce jour 10.000 adhérents environ. Cependant, au final, seulement 3% des pêcheurs en mer, toutes catégories confondues, adhèrent à une fédération. Et le rapporteur d’asséner : “Cette multitude de fédérations et d’associations aux profils variés ne permet pas d’identifier celle qui pourrait porter la parole de l’ensemble des types de pêcheurs de loisir en mer dans les instances de concertation. Cet éparpillement oblige les services ou établissements d’État qui souhaitent engager des négociations à convier plusieurs associations/fédérations, ce qui ne facilite pas le dialogue ni l’atteinte d’un consensus. Les auditions permettent d’affirmer qu’aucune fédération ne fait l’unanimité pour un éventuel regroupement de l’ensemble de celles qui existent au sein d’une seule et même fédération, à l’instar de celle de la pêche en eau douce.” Suit ainsi un long chapitre sur la Fédération Nationale de la Pêche en France (F.N.P.F. d’eau douce), avec mise en exergue de la manière dont elle est structurée, ce qui lui permet d’être présente dans 94 départements dont deux ultramarins, d’être surtout représentée dans toutes les instances institutionnelles (Comité national de l’eau, agences de l’eau, comités de bassins etc.) pour un poids économique de… 2 milliards d’euros. Je suis ici contraint de rectifier le milliard avancé par le rapporteur… Le cabinet BIPE, structure qui fait autorité dans le pays, mandaté pour évaluer le poids économique de la pêche de loisir en eau douce en 2017, était parvenu à la conclusion qu’il était d’un peu plus de 2 milliards. Si besoin, je développerai ultérieurement ce qu’est et ce que fait la FNPF, qui s’est dotée principalement d’une “force de frappe” technique incarnée par plus d’une centaine d’ingénieurs hydrobiologistes (spécialistes des milieux aquatiques et de la vie qu’ils abritent), d’autant d’animateurs/éducateurs chargés d’organiser des animations “pêche” et de former les jeunes générations aux arcanes d’une vie aquatique à protéger et aux diverses techniques de pêche pour renouveler l’effectif des pratiquants. Cette Fédération totalise environ 1.000 salariés. Elle finance aussi huit associations en charge des poissons migrateurs, véritables bureaux d’études qui suivent le déroulé des migrations, s’emploient à restaurer les stocks menacés, participent à l’élaboration des plans d’action en faveur de ces poissons sur la base d’études qu’elles mènent, là encore, grâce à des ingénieurs et techniciens de haut niveau. Ont aussi été formés en moyenne 50 gardes-pêche particuliers par département, soit 500 personnes supplémentaires chargées de faire respecter la règlementation. On sent que le rapporteur tente résolument d’orienter cette structure vers la mer et l’océan… Et Pierre Médevieille de conclure : “L’exemple de cette fédération représentative et efficace dans la préservation des intérêts des pêcheurs, mais également de la ressource, semble un modèle intéressant. Faut-il l’imposer ?”. Notez qu’il parle de modèle, mais surtout pas d’imposer cette structure comme tutelle à l’ensemble des pêcheurs en eau douce et en eau de mer. Et d’apporter la réponse à sa question un peu plus loin : “La fusion de l’ensemble des associations en une fédération des pêcheurs de loisir en mer semble la seule solution susceptible de répondre à l’objectif posé.” Mais il en souligne illico les difficultés, évoquant d’ailleurs le quasi fiasco qui a suivi la création de la F.F.P.S. (Fédération Française des Pêches Sportives), issue de la fusion de trois fédérations, avec un solde très négatif en matière d’effectif, quasi divisé par deux. Il établit aussi ce constat : “Il est probable que la demande de fusion de toutes les associations de pêcheurs de loisir en mer au sein d’une même entité associative aboutirait à un échec.” On peut donc penser que, la contrainte écartée, des initiatives verront prochainement le jour pour inciter, “en douceur” mais inexorablement, ces structures à tendre vers cet objectif d’une fédération mer unique voire d’une structure réunissant mer et eau douce. Pas de diktat donc, ni d’obligation a priori – nous avons et aurons affaire à des politiques ! – mais des mesures, décisions, incitations à venir qui devraient pousser très fort vers l’objectif ainsi défini… À suivre (Prochain et dernier épisode : le catalogue des préconisations)